Une sonnerie de téléphone… Dans mon rêve ? Encore une sonnerie… Voilà des mois que personne ne m’a appelé. Drrriiiiiiiinnnnnngggggg Non, ça semble bien réel… Je me lève difficilement, titube, décroche.

« Allo…

–          ….

Je m’affole

–          Qui est-ce ? Vous demandez qui ?

–           … C’est moi, Violetta…

Je transpire, je panique

–           … Quoi ? Que dîtes-vous ? Pourquoi faîtes-vous cela ?

–          Jorge, c’est moi, c’est Violetta, viens me rejoin…

Je raccroche.

Violetta est morte il y a de cela 3 mois, victime d’un chauffeur alcoolisé. C’était au retour d’une milonga, elle conduisait, j’étais assoupi. Et puis un choc terrible. Puis rien, le blanc, le noir, le deuil.

Depuis, je ne sors plus, je reste chez moi, je fume, je bois, je n’émerge que pour un verre de lait, une biscotte, je ne vois personne et personne ne me manque.

Driinnngggg…. De nouveau la sonnerie …

Je crie :

«Non, pas ça, pas encore, pas maintenant »

J’hurle :

« Qui est à l’appareil ?

Sa voix :

-Viens, viens me retrouver Jorge. Je suis en face, dans la maison en face, je t’attends»

Par la fenêtre, j’observe l’habitation abandonnée promise à une destruction imminente. Il fait noir et pourtant je crois distinguer une lueur.

Je frissonne, je m’habille…

… Je pousse la porte de la demeure dont les fenêtres sont murées. Un air, un violon, un violon et un piano, oui, c’est un violon et un piano. J’entends aussi un bandonéon. Je crois être dans un cauchemar… Des pas au-dessus, de la poussière tombe sur moi, les escaliers sont dangereux, les marches par endroit brisées… J’arrive dans une vaste pièce très enfumée mais je sens des présences, des vêtements me frôlent, et la musique est plus intense, je reconnais une valse argentine. Ils sont là, ils sont tous là : Arolas au bandonéon, Elvino Narvaro au violon,  il y a aussi Virulazo et Elvira en train de danser et Manuel Romero, Juan, Luis, Nadia, Malena…

Je traverse ces gens et d’autres encore, ils me saluent, me font un passage, ils me disent de me dépêcher, qu’il n’y en a plus pour très longtemps. C’est alors que je vois Violetta, c’est Violetta que je revois, elle est ici, légère près du piano, elle m’attend, elle sourit, je suis enfin prêt pour le dernier, le dernier abrazo, le plus bel abrazo … Et tout explose, enfin.

Peinture de Renée Jullien