La saison du tango argentin allait sur sa fin et ça n’était pas plus mal. Je commençais à être fatigué et quand on me proposa de jouir d’un appartement à Paris, quelques jours, j’acceptai et me jurai de laisser le tango hors-champ.

Depuis plusieurs années j’étais à la recherche d’un livre rare, paru en 1808 et qui avait dû à une époque faire partie de l’Enfer, cet endroit des bibliothèques où l’on emprisonnait les ouvrages licencieux. Un ami m’avait conseillé d’aller rue Condorcet dans le 9ème, il y avait là une librairie bien pourvue de la chose. En entrant à La Rose Noire, ça n’est pas « Amélie de Saint-Far ou la fatale erreur » de la Comtesse de Choiseul-Meuse que j’y ai trouvé mais Tango, le numéro 3 de la première série des années 80, Tango imaginé par Jean-Louis Ducourneau. Dès que je vis ce numéro mythique, je ne pus m’empêcher de le toucher, l’ouvrir, le feuilleter. J’en oubliai le pourquoi j’étais venu dans cet endroit et me laissai séduire par le sommaire : hommage à Julio Cortazar, photos de Robert Doisneau, dossier sur les fous du vélo et l’actualité du tango comme ce premier festival de tango argentin organisé en France ! 1984 ! J’ achetai sur le champ cet introuvable.

En quittant le sympathique libraire qui m’avait quand même glissé le catalogue «Spirit of Erotica II» entre les mains, je me rappelai la promesse que je m’étais faite. Désormais j’allai la tenir en mettant et la revue et le tango de côté !

Direction la cinémathèque pour voir l’exposition Stanley Kubrick. Les impressions laissées sur la toile, les chocs dans notre tête, les épuisements dans notre corps, nous rendre malades, nous bousculer dans nos idées, nul mieux que Kubrick pour nous toucher à ce point… Tiens, mais c’est Y ! Que fais-tu là ? Je n’avais pas revu Y depuis plus de 5 ans, elle me dit qu’après l’expo, elle allait à un vernissage et que ce serait sympa de l’accompagner. Super, moi qui ne savais pas quoi faire de ma soirée ! C’est d’accord. Et elle m’écrivit l’adresse de l’artiste ou tout au moins de la galerie.

Trois heures plus tard, je sortais de la cinémathèque, choqué, épuisé, malade, impressionné. Vraiment un génie ce type ! J’avais besoin de changer d’air et me rendis rue Rochechouart.

j’eus du mal à trouver le lieu dont je n’avais pas le nom, seulement le numéro 71. En fait, il n’y avait rien, je veux dire que le 71 est une porte d’immeuble qui donne sur une cour. J’entre, je m’avance, un local est ouvert, il y a du monde, beaucoup parlent espagnol ou plutôt argentin ; dans une pièce contigüe, quelqu’un chante, le tango me rattrape, c’est une cancion, je vous assure c’est une cancion que j’entends. Mon amie Y est là et elle me dit : « Mais nous sommes chez Juan Carlos Caceres, nous sommes à Tango Negro ».

Vu la tournure que mon séjour prenait, je décidai d’aller tout de suite m’acheter des chaussures, le vendeur chez Mady Boutique me parla d’une connaissance commune qui donnait dans une heure, un cours sur le boleo, il me dit de prendre le métro, ce que je fis, et riche de mes nouvelles pompes, je pris la leçon de tango, repris le métro et terminais la nuit à danser dans un Chantier pas possible !

Serge Davy Juillet 2011