Lorsque je suis arrivé à la milonga, j’ai vu une ambulance partir. Un archet a traversé mon corps, j’ai sursauté. J’ai suivi le véhicule blanc qui hurlait dans la ville, la lumière bleue, violente, me permettait de ne pas la perdre. De ne pas la perdre. Alors que déjà elle s’éteignait.
Mon étoile disparaissait. J’aurais voulu être dans ce véhicule fou, à ses côtés, dans son rythme, danse et rythme, mes doigts auraient effleuré sa gorge, sentant les pulsations de la vie. J’aurais épousé ce rythme, l’accompagnant ainsi jusqu’à la naissance du temps suivant et de nouveau une pulsation et de nouveau un temps nouveau, comme cet éternel tango, cet impossible tango qu’on entend à Buenos-Aires…

Mais ma mémoire et mon tango s’en allaient à folle vitesse vers je ne sais quelle nuit. Vers je ne sais quelle nuit.
Tout ce que j’avais vu avec ses yeux, ce que j’avais aimé avec sa bouche, ce que j’avais reçu, ce que j’avais donné, tout s’en allait à mille et mille lieues, au fond des terres, des mousses, dans le brasier, la cendre. Ce que j’avais été et que tout le monde pouvait voir, se brouillait, s’effaçait, au fur et à mesure que sa respiration s’affaiblissait jusqu’à ce dernier souffle que j’ai compris, que j’ai perçu, quand l’ambulance, encore loin de l’hôpital, a ralenti.

 » Volveras, Verdemar… Es el alma que presiente tu retorno. Llegaras, llegaras… Por un camino blanco tu espiritu vendra Buscando mi cansancio y aqui me encontraras… »
José maria Contursi

Peinture Edward Hopper