Comment c’est un dernier tango ? Et comment sait-on que c’est la dernière fois que nous danserons le tango ?

« Elle dansait avec moi depuis 5 ans ; quelquefois l’un ou l’autre partagions une tanda avec un(e) autre partenaire mais nous savions que nous commencerions et finirions ensemble la milonga. Et puis c’est arrivé. Je l’ai compris très vite dès qu’il l’a enlacée. A la fin de la série de 3 ou 4, je crois plutôt que c’était 4 car le temps m’avait paru interminable. Jorge, -il s’appelait ainsi- l’a raccompagnée et dans ses yeux, lorsqu’elle m’a regardé, quelque chose avait changé : un éclat, une brillance inhabituelle… Ce fut mon dernier tango, je veux dire que depuis ce jour où nous nous sommes séparés, je ne danse plus. »

« Cet été là, il faisait très chaud, j’avais dansé une grande partie de la nuit et il restait encore plusieurs couples, infatigables, ravis, jouissant d’un superbe parquet, ils en redemandaient. Bien que je commençais à ressentir une certaine fatigue, je ne voulais pas être en reste et plusieurs femmes seules attendaient le plaisir et la danse. Tangos, milongas, valses et de nouveau tangos, milongas, valses… Je ne sais plus très bien si c’est arrivé avec un Biaggi ou un Sanchez Gorrio, toujours est-il qu’une violente décharge m’a transpercé la poitrine me clouant net sur la piste au moment où je m’apprêtais à faire un tour. Lisa, ma partenaire, m’a tout de suite emmené à l’extérieur de la salle et a passé un appel sur son portable. Certainement le 112… Quelques minutes plus tard, je compris, en entendant les sirènes d’une ambulance qui se rapprochaient au fur et à mesure que je m’éloignais de Lisa, de la musique, de la vie, je compris que je venais de faire mon dernier tango. »

« Le tango c’est un peu comme l’amour, ça peut faire du bien, beaucoup de bien. Il n’était pas un danseur hors-pair mais j’aimais son style, sa singularité. Nous nous étions rencontrés dans une milonga de Barcelone où il passait des vacances avec sa famille… Sa femme et ses enfants je veux dire. Mais elle n’aimait pas danser. Il était donc venu seul à la milonga et nous étions repartis ensemble dans un petit hôtel. Ce soir là, je devins « sa » danseuse mais aussi sa maîtresse, comme dans les romans du Divin Marquis. Jamais expérience ne fut si troublante, si complète, si sensuelle :il décidait dans la danse, je décidais dans l’amour. Nous avons ainsi passé des centaines de nuits blanches, rouges et noires. Et puis, je ne sais pas pourquoi, j’ai voulu partager les jours aussi avec lui, pas seulement les nuits. J’ai commencé à lui en parler, lui dire que nous pourrions vivre ensemble, qu’il pourrait divorcer mais je sentais bien qu’il fuyait la conversation… qu’il fuyait notre garçonnière… qu’il fuyait le tango. Nous ne nous voyons plus. J’ai tout arrêté : l’amour et le tango. Le tango, c’est un peu comme l’amour, ça peut faire mal, très mal. »

Photo et texte Serge Davy