« … Mais jugez de mon étonnement, quand, parmi ceux qui s’empressaient à m’inviter, je reconnus le jeune homme que j’avais éconduit un soir dans une milonga, ne sachant pas encore danser…

 Je n’osais même le regarder, ce qui faisait que j’en mourrais d’envie : aussi le regardais-je, toujours en n’osant, et je ne sais ce que mes yeux lui dirent ; mais les siens me firent une réponse si tendre qu’il fallait que les miens l’eussent méritée. Cela me fit rougir, et me remua le cœur à un point qu’à peine m’aperçus-je de ce que je devenais.

 Jamais je n’ai de ma vie été si agitée. Je ne saurais vous dire ce que je sentais. C’était un mélange de trouble, de plaisir et de peur ; oui, de peur, car une fille qui en est à son apprentissage ne sait où tout cela la mène : ce sont des mouvements inconnus qui l’enveloppent, qui disposent d’elle, qu’elle ne possède point, qui la possèdent ; et la nouveauté de cet état l’alarme.

Il est vrai qu’elle y trouve du plaisir, mais c’est un plaisir fait comme un danger. »

Marivaux « La vie de Marianne »

 Photo La vie d’Adèle, chef d’oeuvre

de Abdellatif Kechiche

avec Léa Seydoux et Adèle Exarchopoulos.