Nous ne devrions pas considérer le tango comme une chose qui serait proche du désir.

 La première fois que je la vis, j’eus un désir fou de l’inviter à danser.

 J’aurais dû pourtant attendre encore quelques années, être plus à l’aise dans les pas, dans les élans. Elle me regarda gravement dans les yeux, m’ enlaça et m’ entraîna sur « Quando tu amor regrese ». Mais son parfum, la douceur de ses mains, la rondeur de ses seins … je perdis mes moyens.

Mes maladresses, mon inexpérience la déçurent et me firent rougir : « Tu n’es pas encore prêt » me dit-elle, « sache que danser, c’est séduire ».

 Je voulus lui donner rendez-vous le lendemain mais elle me répondit qu’elle avait déjà un partenaire…

 Une autre fois, à Rome, lors d’un voyage d’affaires, je passais la nuit avec une femme dont je ne me rappelle pas la couleur de ses yeux. Elle semblait en attente de nouvelles figures, de nouveaux tours, elle ne refusait rien, n’était choquée de rien. Tout était possible avec elle. Elle me dit que les milongas étaient des lieux de perdition, de transgression. Elle savait ce dont elle parlait. Combien d’hommes avaient pris plaisir à l’étreindre ? Et elle dansait les yeux fermés comme si elle imaginait ce tango avec d’autres corps alors que moi seul l’enlaçais.

 Milongas, ces lieux où l’on aime en secret, où les imaginaires s’inventent des histoires amoureuses, où l’on s’approche, s’éloigne, lieux de rêves, de fantasmes. Les corps mis en évidence, les talons des femmes, les chemises des hommes, ce grain de beauté dans votre cou et cette goutte de sueur qui longe votre oreille gauche et demande un baiser.

Serge Davy

En photo une œuvre de Keith Haring (1958 – 1990)