Les ensorcelés
Lucia avait à peine connu son père, assassiné dans une prison en raison de son étiquette trotskyste. Son grand-père lui avait appris à danser le tango dès l’âge de 6 ans. Puis, de 15 à 17 ans, elle avait suivi des cours dans la ville de Bs As avec un grand maëstro dont on ne prononce plus le nom à cause d’une histoire politico-érotique qui avait mal tourné…
A l’âge de 20 ans, elle coupa ses cheveux à la manière de Louise Brooks et plus jamais on ne la revit en robe. Elle devint très vite la proie des meilleurs tangueros et adora se mesurer à des rivales dans les milongas de Paris, Madrid ou Buenos Aires. Elle déchaîna les passions et plus d’une fois les couteaux luisirent dans la pénombre des esquinas. Sa beauté provoquait, et son style sensuel, ambigu en raison du refus de devenir femme, scandalisait.
Un soir, au Café Tortoni, un fameux bandonéoniste lui avait présenté un jeune homme débarqué tout droit d’Arménie où des massacres se déroulaient. Doué pour la danse, le bel Arménien avait envouté tout de suite Lucia. Mais leurs penchants pour l’alcool et les drogues allaient briser leur carrière…
Certaines danseuses aujourd’hui disent que Lucia vit encore mais elle ne sort jamais, elle reste dans son vaste appartement parisien. Seules deux ou trois intimes sont autorisées à lui rendre visite et recevoir les indices, les signes pour que jamais on n’oublie cette proposition, ce style, cette classe.
Photo : »The bad and the beautiful » de Vincente Minnelli